Vous devez vous reposer, maître Lom, il n’y aucun moyen de l’atteindre, en tout cas pour le moment. Grajh posa avec crainte l’assiette sur la table de bois, puis apporta d’autres plats dont le relent fétide aurait, en
des temps plus calmes , affiché satisfaction et joie sur les visages des hommes.
- Cesse donc de m’importuner avec ta nourriture, Grajh, bougonna le second alors qu’il regagna une chaire taillée dans du roc.
- Nous trouverons bien une solution,
dit Grajh en prenant soin de ne pas soutenir le regard de son maître.
Il réfléchit un instant puis reprit
:
- Les Rêveurs se sont peut-être
trompés ou alors se sont-ils seulement joués de vous, sachant votre entière
allégeance à leurs services, juste pour quelques pièces d’or en plus.
- Balivernes ! Tes propos ne sont
que pures balivernes! Depuis la nuit des temps, les rêveurs ont toujours fait
preuve de justesse. Leurs rêves sont prémonitoires et tu le sais très bien!
Lom se leva d’un bond, et les mains derrière le dos, il entreprit des
allées et venues d’un pas agacé. A la lueur des
bougies, son visage se
profilait sur les pierres rugueuses de la grotte : il était aussi sombre qu’une ombre et bien au-delà. Il s’arrêta le temps de se masser un peu les
épaules, ces épaules qui le faisaient tant souffrir. Grajh le
considérait d’un seul œil. Son maître
avait une carrure longue et efflanquée, mais ce n’était pas pour cette raison
qu’il gardait continuellement le dos cambré dans ces lieux exigus : il était
ainsi depuis fort longtemps, peut-être depuis sa naissance. Personne ne le
savait.
Lom eut un rictus qui contractait ponctuellement son visage émacié. Une mimique qui terrorisait le valet.
Lom eut un rictus qui contractait ponctuellement son visage émacié. Une mimique qui terrorisait le valet.
-
Ma nuit n’a été que tourment et folie. Je ne peux me résigner
à me laisser vaincre par …
Il lui répugnait à prononcer son nom.
- …Je n’ai plus le choix. Il ne reste qu’une seule alternative : la corne de la bête !annonça
Lom en grimaçant sauvagement.
Grajh faillit s’étouffer en ayant entendu cette décision des plus
périlleuses.
- Vous ne pensez pas réellement à ça, maître Lom, renonceriez-vous à la royauté?
Mettriez-vous votre vie en péril?
- Pauvre Grajh, ton intelligence se limite à tes marmites ! Réveille les Orgons et ordonne leur
de se préparer à l’assaut! Le temps nous est désormais
compté.
Grajh traîna le pas, vexé par la
réflexion de son maître. Cependant, il dissimula son mécontentement sous sa
large capuche car le contester serait de sa part une maladresse pouvant lui
coûter la vie.
Grajh alors empoigna un clairon noir
estampillé d’une chauve-souris en argent. Ses yeux ne
cessèrent de fixer le maître sur son
trône. Il prit une grosse inspiration et fit vibrer toute la grotte. Il remit l‘instrument délicatement sur le socle puis s’éclipsa, laissant Lom à ses sombres desseins.
Lorsqu'il revint, il le trouva dans
la même position d’abattement d'il y a quelques
minutes.
- Nous sommes prêts, maître.
Ce dernier bondit sur ses jambes,
comme si ces mots lui redonnèrent du poil de la bête, et en un bref
instant, il escalada une vingtaine de marches de pierre et se
retrouva dans une seconde excavation, cependant
plus vaste, plus sinistre que la précédente. D’une souplesse ahurissante, Lom grimpa tel un fauve sur un rocher noir,
surplombant ainsi la ténébreuse
assemblée où seuls des yeux incandescents
constellaient l’obscurité.
- Les Rêveurs ont rêvé !
annonça Lom d’une voix tonitruante...
.. L’aube, à peine levée, fut cinglée par les roulements de tambours annonçant
le départ martial des Orgons. Lom était sur le pied de guerre, et avant
de rejoindre les troupes, il donna une tape à l’épaule de Grajh lui arrivant à sa taille, puis lui dit d’une voix impassible :
- Je vaincrai la bête, et j’aurai en ma possession la corne, ma corne, et j’attendrai le temps qu’il faille pour passer à l’offensive….
Il mit ses mains derrière son dos,
fit quelques pas et revint à la charge vers Grajh :
-Tu seras fier d’avoir pour maître, le plus puissant, le plus obscur
des Urlus. Mais il faudra pour cela que tu fasses preuve de patience, une
année, peut-être deux, car la vengeance, mon fidèle serviteur, est un plat qui se mange froid !
A ces mots, il quitta son antre en ayant le
diable au corps et se mit à scander dans le goulet un cri belliqueux que reprirent vivement les Orgons:
- Varnamalïm ! Varnamalïm !
Puis il éclata en un rire froid,
glacial, cynique qui fit vibrer la fibre guerrière des plus insensibles.
Le valet, fier des desseins sombres de son maître, quitta à son tour les lieux, ravi et confiant en l’avenir...
Le valet, fier des desseins sombres de son maître, quitta à son tour les lieux, ravi et confiant en l’avenir...